Une chambre élégante et discrète dans un riche hôtel teuton. Monsieur B. est là, il m'attend : peignoir, barbe de trois jours, visage fatigué, sans doute le stress de la promotion de son dernier opus cinématographique. Il m'invite à m'asseoir dans la pièce principale.
Mr B. : Oui, mais je ne vous promets pas d'être à la hauteur, vous me prennez au réveil, comme ça, sans m'avertir. Je serais en droit de refuser, mais néanmoins, je vois que vous êtes pressée... Allez-y, je suis à vous.
Tante Julia : Merci Monsieur B.. Je pense qu'il est dispensable de rappeller que vous êtes le scénariste en fief et attitré du grand réalisateur germain Pbizesfzieouzsg, devenu célèbre grâce à vos répliques telles que "Merde j'ai chaud" dans "Combinaison fatale" ou encore "Aquarelle, de quoi j'me mêle" dans "Constantin le Grand"... Hum... Aujourd'hui sort votre premier film en tant que réalisateur et scénariste, "Dédale et fringale", quels sont les principaux points novateurs de votre dernier scénario ?
Mr B. : Ce film m'a pris 17 ans de ma vie, je vous avoue être heureux de m'en débarasser enfin. Quand je travaillais avec Germain, les choses étaient limpides, maintenant, pour m'etre retrouvé à sa place, je suis bien conscient du revers de la médaille. Cette oeuvre à beau être majeure, au bout de 17 ans, je n'ai qu'une envie, m'en débarasser au plus vite. Comprenez moi, la véritable innovation dans "Dédale et Fringale", dont je suis le réalisateur, l'auteur, et l'acteur principal, est l'absence de tout mouvement de caméra, de tout mouvement tout court d'ailleurs. ou presque. Imaginez, premier plan, un aquarium, un poisson. Second plan, même aquarium, même poisson. Troisième plan, la lumière commence à changer, boulversant totalement la géographie visuelle de la scène. Bien sur, l'apogée du film est le plan 39, lorsque l'on voit la main de l'acteur principal verser de la nourriture au poisson. C'est l'apogée dramatique. C'est l'hypotruc du film. Comprennez, ce n'est pas qu'un simple film, c'est l'univers recréé dans toute sa complexité.
Tante Julia : Mais n'est-ce-pas une vision quelque peu pessimiste, de dire, d'affirmer, que toute la complexité du monde est contenue dans un aquarium Jardiland ? De plus ce poisson, votre partenaire dans le film, flatule dès le début du plan 89, ce qui est flagrant puisqu'il fait des bulles. "Dédale et fringale" est-t-il un film qui asphyxie le monde ?
Tante Julia se masturbe intellectuellement, hum c'est bon.
Mr B. : Ce chef d'oeuvre est bien entendu à volonté provocatrice. Prennez le plan 127, lorsque le poisson attrape finalement une paillette de nourriture, c'est l'incarnation de la destruction, mais de la destruction créatrice. Ce poisson, c'est nous, et cette main, c'est Dieu. Le plan 89 auquel vous faîtes allusion, là aussi est une représentation flagrante de la société. Nous sommes responsable du boulversement climatique. Je pense avoir réussi à dénoncer tous les grands problêmes actuels, et ce poisson est une représentation parfaite de nous même. Bien entendu le choix de l'aquarium aurait pu etre tout autre, et un simple bocal "Jardiminiprix" aurait suffit. Mais je pense vraiment que c'est dans un "jardiland" que l'oeuvre pouvait prendre toute son ampleur dramatique.
Tante Julia : Alors, peut-être est-ce une question idiote, mais pourquoi avoir refusé de grands acteurs, tels que Mickael Goulag, Colin Fish ou encore Brad Thon pour interprêter le rôle du poisson ?
Mr B. : J'ai longuement réfléchi à la question, Colin Fish a d'ailleurs fait des prises d'essai, mais lors de son léger problême d'apnée prolongée qui l'a rendu tétraplégique lors de la prise de la 2è scène, j'ai pris la décision d'utiliser un vrai poisson.
Tante Julia : Une interrogation pend cependant aux lèvres de tous les participants du festival de Cannes : pourquoi un cabillaud ?
Mr B. : Comprennez, le cabillaud est un symbole, le cabillaud est le symbole de notre humanité. Il est en voie de disparition, nous aussi. Mais il y'a autre chose, de plus profond, au delà de cette évidente analogie, le cabillaud à, comment dire, un regard, une forme d'intelligence qui transparait à l'écran. Il est le regard cynique de la nature sur l'homme, il est l'homme, il est ambivalent, il est tout. D'ailleurs ne dit-on pas que le poisson rend intelligent ? La boucle est boucle, comprennez.
Tante Julia se dit qu'elle comprend.
Tante Julia : Monsieur B., vos détracteurs vous soupçonnent d'avoir effrontemment choisi d'utiliser de l'eau "GlouGlou" pour remplir l'aquarium, afin de provoquer la panique générale. Rappelons que l'usine "GlouGlou" a dû fermer il y a quelques mois, accusée de mêler des traces d'opium au plastique de ses bouteilles. Votre acte était-il totalement délibéré ?
Mr B. : Et bien, comprennez, l'eau GlouGlou était une petite entreprise familiale, ça ma paraissait important de leur rendre hommage pour tout ce bonheur qu'ils m'ont procuré. Mais à la mort du troisième cabillaud, j'ai définitivement pris le parti d'utiliser de l'eau de mer.
Tante Julia : Bien sûr. Enfin, nous ne sommes pas là uniquement pour parler de votre film, après tout c'est une interview, il est de mon devoir de prendre des nouvelles croustillantes à propos de votre vie familiale (sexuelle ?). Mr B., comment a réagi votre femme, Angela Poulaille, à l'annonce de votre liaison avec Bill Gates ?
Tante Julia murmure à l'oreille de Mr B. : Vous savez, j'adoooooooore les ordinateurs, toutes ces petites touches, et cette grosse souris à manier...
Mr B. : Ma liaison avec Bill.. Je vous avoue qu'à froid comme ça, c'est un peu dur d'en parler. Angela a, pour sa part, très bien pris la chose, ce n'était qu'un juste retour des choses après sa liaison avec Brigitte Bardot. Et.. (Entend ce que lui dit la journaliste, déglutit bruyament, et l'air de rien, bande) Hum.. Vous savez, Bill est quelqu'un comme nous, il a d'ailleurs eu la gentillesse d'avancer les 17 millions de dollars pour la production de "Dédale et Fringale". (Effleure la main de la journaliste) Il m'a aussi donné quelques cours d'informatique, je me suis occupé des effets spéciaux moi même, je pourrais vous en faire profiter si vous le souhaitez.. (Affiche un sourire enjoleur).
Tante Julia : Des effets spéciaux... comme dans le plan 5554, lorsque le poisson vous arrache la main ? Alors c'était un effet spécial ?
Mr B. : Malheureusement non.
Tante Julia : Ah.
Mr B. : D'ailleurs, si vous me permettez une question, nous sommes entre nous, avec votre physique, vous n'avez jamais songé à faire du cinéma ?
Tante Julia : Le cinéma ? (Eclate de rire) Voyons Mr B., je suis sérieuse moi, je suis journaliste. (Voyons...)